Une formation pour mieux comprendre la migration des enfants en Tunisie  

La migration humaine est un phénomène qui existe depuis toujours. Cependant, ces dernières années, un nombre record de personnes migrantes a été enregistré. Il n’y a jamais eu autant de personnes vivant dans un autre pays que celui dans lequel elles sont nées¹ selon le rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) publié en décembre 2022, qui faisait état de 281 millions de personnes migrantes en 2020, soit 51 millions de plus qu’en 2010, plus de deux fois plus qu’en 1990 et plus de trois fois plus qu’en 1970.

Le photo-reportage a été rédigé et concu  grâce à la collaboration étroite de Jean-ferdinand Mohenou , volontaire déployé en Tunisie auprès de la Tunisian Forum For Youth Empowerment (TFYE) au poste de conseiller en droits de l’enfant et plaidoyer et Lara Pocok, Responsable Régional- Responsable régionale – Afrique du Nord et Madagascar.

Selon l’UNICEF, une personne migrante sur huit est un enfant, ce qui représente 36,5 millions de filles et de garçons en situation de migration à travers le monde. La migration peut comporter de nombreux obstacles et entraîner une violation des droits des enfants.  

Selon l’OIM, une personne migrante est toute personne qui, quittant son lieu de résidence habituelle, franchit une frontière internationale ou se déplace à l’intérieur d’un État, quels que soient  son statut juridique, le caractère volontaire ou involontaire du déplacement, les causes du déplacement ou encore la durée du séjour. 

Qui sont les enfants en situation de migration ? 

Aujourd’hui, environ un tiers des enfants en situation de migration sont en demande d’asile ou ont le statut juridique de « réfugiés » qui leur octroie une protection spéciale en droit international² alors que les enfants déplacés à l’intérieur même de leur pays sont encore plus nombreux. 

Le nombre d’enfants migrants voyageant de leur pays ou région d’origine, sans leurs parents, un membre de leur famille ou un proche en raison du contexte politique, économique, et de plus en plus, climatique augmente. On les qualifie alors d’enfants non accompagnés. Qu’ils soient réfugiés ou non, ces enfants se trouvent d’autant plus vulnérables à l’exploitation et la violence.  

En tant qu’enfants, toutes les filles et tous les garçons en situation de migration, quel que soit leur statut migratoire, ont droit à une protection particulière en droit international.  

La migration en Tunisie 

En l’espace de quelques années seulement, la Tunisie est passée d’un pays de départ à un pays de transit, pour devenir finalement un pays de destination. Les instances gouvernementales ainsi que la société civile tunisienne s’efforcent aujourd’hui de répondre à ce changement de paradigme. Pour permettre  aux délégués à la protection de l’enfance (DPE)  et à la société civile d’être mieux informés et outillés pour relever les défis liés à l’accueil et à l’accompagnement des enfants non accompagnés et d’échanger sur les bonnes pratiques,dans le cadre de son programme de volontariat international PRIDE, le Bureau s’est associé à l’OIM en mai 2022 afin d’organiser des ateliers de formation sur le sujet.   

Ces trois ateliers étaient animés par François Crépeau, Professeur titulaire à l’Université McGill de Montréal et ancien Rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’Homme des migrants, qui s’est joints au programme PRIDE le temps d’un mandat de deux semaines en mai 2022 en Tunisie. M. Crépeau a également participé à un quatrième événement organisé par l’OIM donné spécifiquement aux membres de l’ordre des avocats de Tunisie.   

Les enfants en situation de migration vivent la marginalité de leurs parents, qu’ils soient accompagnés ou qu’ils se retrouvent sans soutien familial, s’ils ne le sont pas. Le nombre d’enfants migrants non accompagnés a été multiplié par presque dix entre 2020 et 2021. L’adaptation à un nombre soudainement élevé d’enfants étrangers, dont plusieurs ne parlent ni l’arabe ni le français, est difficile, faute d’interprètes linguistiques et culturels, et faute d’une tradition d’accueil de ces enfants. Malgré des efforts importants entrepris dans chacun des gouvernorats, l’infrastructure tunisienne de protection de l’enfance est déjà très sous-financée et sous-équipée. Les délégations à la protection de l’enfance, ainsi que la société civile du secteur, ne savent pas forcément comment réagir devant cette situation nouvelle, et aimeraient comprendre comment elle pourrait évoluer.François CRÉPEAU Professeur titulaire à l’Université McGill, ancien rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’Homme

Lors d’un atelier interministériel organisé par l’OIM en mai 2022 à la suite de l’événement IBCR, la ministre de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées, Mme Amel Moussa, a indiqué que « le nombre d’enfants immigrés actuellement en Tunisie est de 1 816, soit 22 % du nombre total d’immigré[e]s arrivé[e]s en Tunisie, estimé à plus de 8 000 personnes ».  La ministre a ensuite fait état de quelques efforts entrepris pour accompagner ces enfants, dont le parrainage d’environ 400 d’entre eux, la protection ciblée de 39 autres et l’inclusion de 30 enfants dans le programme ministériel de la petite enfance. 

   

Quelques témoignages des personnes participantes aux ateliers IBCR

[…] l’enjeu principal que connaît l’enfant en situation de migration  en Tunisie actuellement est l’accès à l’éducation. Les difficultés que rencontrent les parents migrants pour intégrer leurs enfants dans des établissements d’éducation préscolaire ou scolaire sont d’une importance capitale. Faciliter l’accès à l’éducation d’un enfant migrant va au-delà du respect de la loi tunisienne, à savoir le code de la protection de l’enfance, ou même des conventions internationales que la Tunisie a ratifiées. C’est plutôt un travail de fond pour créer une société interculturelle où tout le monde a de la place. Hichem Guesmi, président de l’association pour le développement du leadership en Afrique (ALDA)

Pour favoriser un plus grand respect des droits de l’enfant migrant, la formation a débuté par la présentation des instruments internationaux et du cadre légal tunisien. 

Instruments internationaux et migration des enfants :

  • Les instruments juridiques internationaux régissant les droits de la personne posent le cadre général de la protection de l’enfant en situation de migration. Comme toute personne, il bénéficie de tous les droits garantis par l’ensemble des conventions internationales sur les droits de la personne, incluant les deux pactes internationaux de 1966, la Convention contre la torture de 1984, etc.  
  • La Convention relative aux droits de l’enfant s’applique également à tout enfant en situation de migration, quel que soit son statut migratoire. Il a droit entre autres à une identité, à la santé, à l’éducation et de bénéficier de ces droits de manière non discriminatoire, comme tout enfant.
  • Selon le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, la détention d’un enfant au motif de son statut ou du statut migratoire de ses parents constitue une violation des droits de l’enfant et est contraire au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Pour assurer sa protection et la mise en œuvre de ses droits, des mécanismes de protection de l’enfant adaptés doivent être en place dès que l’enfant met le pied sur le territoire. Ainsi les organes étatiques de protection de l’enfant, en collaboration avec la société civile, doivent pouvoir fournir très rapidement à l’enfant des services dans une langue qu’il comprend et lui attribuer une personne tutrice compétente, parlant sa langue et chargée de la défense de ses droits. 

 

J’étais très heureux de participer aux activités et à la formation sur les droits des enfants migrant.e.s organisée par l’IBCR les 19 et 20 mai 2022, pour nous qui rencontrons des dizaines de familles migrantes au quotidien, ça été un défi et un apprentissage sans fin, pour la qualité d’information que nous nous chargeons désormais de faire passer lors de nos actions de sensibilisation.

Pour nous qui rencontrons des dizaines de familles migrantes au quotidien, ça été un défi et un apprentissage sans fin, pour obtenir des informations de qualité que nous nous chargeons désormais de faire passer lors de nos actions de sensibilisation, c’est pourquoi j’étais très heureux de participer aux activités et à la formation sur les droits des enfants migrants organisée par l’IBCR. 

Fabrice Hervé BROU YOBO, pasteur missionnaire de l'Assemblée Missionnaire Évangélique pour les Nations (AMEN), membre du bureau exécutif de la Fédération Nationale des Églises Évangéliques Protestantes et Pentecôtistes en Tunisie (FENADEEPP).

À travers le travail réalisé, nous avons constaté plusieurs défis concernant les enfants migrants non accompagnés ou non. Généralement, les enfants migrants sont des victimes potentielles de traite ou de trafic de personne.Justa, Directrice exécutive de l’association Afrique Intelligence (A.A.I) basée dans la ville de Sfax

Les principes et droits fondamentaux qui doivent être appliqués aux enfants en situation de migration

Comme chaque enfant, les enfants en situation de migration sont titulaires de droits que les États et l’ensemble de la société se doivent de respecter.

  • L’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale dans toutes les décisions qui l’affectent. 
  • La dignité de l’enfant et son droit à la vie privée doivent être respectés en tout temps 
  • L’enfant a droit à participer de manière effective dans toutes les décisions qui le concernent directement. Lors de la mise en œuvre de son droit à la participation, il faut prendre en compte son âge, son niveau de maturité ainsi que tenir compte de son opinion.  
  • L’enfant doit pouvoir jouer un rôle constructif dans la société. L’enfant ne doit pas être traité comme un simple objet de protection, mais comme un sujet de droit et un acteur à part entière.  
  • L’enfant n’est pas un adulte en situation de migration : sa qualité d’enfant prime sur celle de migrant. Son traitement doit être adapté au fait qu’il soit un enfant.  
  • Le fait pour l’enfant d’être sur un territoire en situation irrégulière, ou en attente de régularisation, ne doit pas être considéré comme constitutif d’un délit. Ainsi, l’enfant ne pourra pas être mis en détention pour des raisons administratives. 
  • La réunification familiale est fondamentale, puisque la famille est l’unité de base de la société et le milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres. La priorité est donc accordée aux liens familiaux.   
  • Le droit à l’éducation, au logement et à la santé de l’enfant doit être assuré en toute circonstance. Aucune distinction ne peut être faite entre enfants nationaux et non-nationaux quant au respect de ces droits.

Un enfant est un enfant, peu importent les raisons qui le poussent à partir de chez lui, d’où il vient et d’où il est, ou encore les moyens employés pour en arriver là. Aucun enfant ne devrait craindre d’aller chez le médecin ou encore être victime de discrimination en raison de son pays d’origine. Le travail que nous venons d’effectuer avec l’IBCR nous a permis en tant qu’association estudiantine migrante de prendre conscience des enjeux migratoires et particulièrement ceux rencontrés par les enfants, afin de mieux les vulgariser auprès de nos communautés.Ondambomo Chaniel - Membre du conseil consultatif de l’Association des Étudiants et Stagiaires Africains en Tunisie (AESAT)

Les ateliers organisés par l’IBCR nous ont permis de faire des rencontres importantes, d’en apprendre davantage sur les droits de l’enfant, et en particulier des enfants migrants. C’est une première en Tunisie de nous associer en tant qu’acteur migrant pour débattre de nos difficultésErica Tacha - Président de la diaspora camerounaise

Nous aimerions bien partager le problème de la scolarisation des enfants migrants sur le terrain tunisien. Car nous constatons un grand nombre d’enfants migrants non scolarisés. Que dit la loi tunisienne ? Et quelles sont les démarches à suivre ? 

Et enfin comment ils pourraient bénéficier de l’éducation ou de prises en charge ? Voilà, un résumé en quelques questions notre préoccupation du moment.  Mais, nous avons été bien outillés lors des ateliers de l’IBCR et nous pensons désormais pouvoir faire face aux nombreuses difficultés que nous rencontrons sur le terrain, en tant qu’association de migrants, la rencontre d’acteurs publics et d’ONGs renforce davantage nos espoirs quant à l’amélioration des conditions de vie des personnes migrantes.Seri Olivier - Secrétaire Général de l'association Lion Heart pour l'humanitaire 

Les ateliers organisés à Tunis en partenariat avec l’OIM marquent les premiers du genre pour le programme PRIDE, qui vise, au-delà du seul déploiement de volontaires qualifiés, à renforcer globalement la protection de l’enfant et le respect de ses droits à l’échelle nationale de ses pays d’action. En Tunisie, l’enjeu de la migration des enfants devient prépondérant, c’est pourquoi l’IBCR, à travers le PRIDE, s’efforce de contribuer au renforcement des compétences des acteurs de la  protection de l’enfant sur le sujet à travers de tels ateliers de formation et de favoriser le dialogue entre société civile et institutions étatiques.  

¹Source Nations Unies : https://www.un.org/fr/global-issues/migration

² Source UNICEF : https://www.unicef.fr/article/enfants-migrants-et-refugies/

 

Programme PRIDE mis en œuvre